Interview | 22/03/2016

«L’ambition d’être le meilleur»

Professeur Hermann Simon, doyen de recherche, s’est penché sur le phénomène économique des Hidden Champions. Il explique dans l’interview la formule à succès des Hidden Champions pour fournir leurs prestations de qualité et présente les moyens utilisés par l’élite des PME allemandes et suisses pour maintenir leur position à l’ère de la globalisation.

Quelles sont les qualités qui permettent aux Hidden Champions d’obtenir d’aussi bons résultats?

Professeur Hermann Simon: Leur succès repose essentiellement sur trois points. D’abord, l’ambition d’être le meilleur sur le marché, dans le monde entier. Ils se fixent pour objectif d’être le leader mondial. Ensuite, la focalisation. Ce n’est en effet qu’en se focalisant que l’on peut intégrer l’élite mondiale. Cependant, se focaliser sur des laisses à enrouleur pour chien réduit le marché. Alors, comment le développer? C’est là qu’intervient le troisième point, la globalisation! Globalement parlant, tous les marchés sont grands, en tout cas par rapport aux opportunités des PME. Et concernant le marché des laisses à enrouleur pour chien, Flexi, sans conteste le numéro 1 avec 70% des parts de marché mondiales, déclare: «Nous nous concentrons certes sur un produit, mais nous le faisons mieux que tous les autres.»

Quel rôle les Hidden Champions jouentils dans la compétitivité de l’économie nationale?

Un rôle décisif! Ils contribuent à un quart des exportations de l’Allemagne et de la Suisse. Ils sont nettement plus innovants que les grandes entreprises. C’est d’ailleurs ce qu’illustre le nombre de brevets déposés par 1000 employés. Chez les Hidden Champions, ce nombre est de 31, chez les grandes entreprises il est de six. Si le premier critère de compétitivité considéré est la part de marché mondiale, c’est encore plus net: de nombreux Hidden Champions affichent des parts de marché de 60, 70 voire 80%.

Qu’est-ce que le renforcement de la globalisation implique pour les Hidden Champions d’Europe centrale?

L’internationalisation du personnel de direction est un véritable défi à relever pour les Hidden Champions. C’est souvent là et non dans le capital que réside le facteur restrictif d’une globalisation rapide. De ce point de vue, les grandes entreprises ont évidemment l’avantage. Elles peuvent se fournir parmi un grand réservoir de dirigeants ayant une grande expérience de l’international. Les Hidden Champions doivent quant à eux développer ces ressources. Cela prend du temps. Cela promet néanmoins d’excellentes opportunités pour les jeunes générations ambitieuses. Chez les Hidden Champions, on évolue rapidement, surtout dans le contexte international.

Quels sont les risques d’une focalisation dans un domaine spécifi que?

En se focalisant sur un marché, une entreprise en devient bien évidemment dépendante. Si l’on définit un marché en fonction des besoins, ce qui est selon moi la seule méthode pertinente, il reste encore de nombreux marchés. Par ailleurs, la focalisation permet de lutter contre le risque de se faire détrôner par la concurrence. En effet, elle permet à une entreprise de déployer tous ses moyens pour défendre sa place sur son marché.

Quels sont les besoins particuliers des Hidden Champions?

J’observe des relations à très long terme, tant du côté des fournisseurs que des clients. La complexité exige une collaboration durable. Les fournisseurs et les clients doivent parfaitement connaître leurs champs d’activité. Et bien évidemment, les exigences des clients sont grandes. C’est cependant source de motivation aussi. Un responsable d’une entreprise considérée comme un Hidden Champion m’a déclaré qu’il aspirait à travailler uniquement avec des clients faisant partie des 30 meilleures entreprises du monde. Ses raisons? «Ces clients ne sont jamais satisfaits et demandent toujours de nouvelles améliorations. C’est motivant pour nous. Tant que je travaille avec ce type de clients, tout ira pour le mieux.»

Quelles sont les différences de mentalité entre une grande entreprise et un Hidden Champion?

L’une des principales différences est la manière de diriger. La direction chez les Hidden Champions est ambivalente: autoritaire dans les valeurs fondamentales, mais participative et flexible dans l’exécution. Il n’y a pas de discussion possible au sujet des valeurs fondamentales, des principes et des priorités. Elle sont dictées d’en haut. En revanche, les collaborateurs jouissent d’une plus grande liberté d’exécution que dans les grandes entreprises. Tout n’est pas régi, il y a moins de manuels, de guides, etc. Cela implique évidemment des collaborateurs qu’ils possèdent des compétences adéquates et qu’ils acceptent d’assumer des responsabilités.

Comment devrait évoluer l’activité des Hidden Champions au cours des prochaines années?

L’activité des Hidden Champions va surtout devenir plus globale, plus internationale. La plus grande partie du chiffre d’affaires des Hidden Champions est déjà réalisée en-dehors de l’Europe. Depuis environ 2011, ils emploient plus de personnes à l’étranger que sur le territoire national. Ces dernières années, les capacités de R&D se sont développées en direction des nouveaux pays industrialisés. A contrario, l’internationalisation du management n’est est encore qu’à ses débuts. Actuellement, seulement 2% des Hidden Champions allemands comptent un CEO non allemand. Chez les grandes entreprises, on en dénombre 20%. Evidemment, certains de nos actuels Hidden Champions perdront leur leadership, mais la plupart devrait conserver leur position de leader. Leurs compétences sont si spécifiques et leurs marchés si restreints que, contrairement au marché des véhicules autonomes par exemple, cela n’intéresse pas vraiment lesGoogle, Apple et autres.