Interview | 03/07/2020

IA – des machines intelligentes?

Interview avec Christopher Ganz

Christopher Ganz dirige l’équipe «Strategic Solutions & Standards» au sein des ABB Future Labs dont le but est d’identifier les futures tendances qui auront un impact sur le portefeuille d’ABB et de les intégrer à des projets d’innovation dans les ABB Future Labs. L’IA industrielle et les systèmes industriels autonomes sont deux de ces tendances. Il est titulaire d’un doctorat de l’ETH Zurich.

«L’intelligence artificielle» relève toujours un peu de la science-­fiction pour les profanes – que peut-on en dire exactement aujourd’hui?

L’intelligence artificielle, l’IA, est la capacité des machines à absorber des informations, à les stocker sous forme de connaissances et à les appliquer pour maîtriser des situations qui n’étaient pas précisément connues au moment de la programmation de la machine. La complexité de ces situations augmente avec la capacité de calcul croissante des ordinateurs. Cela signifie qu’une solution qui était dite «intelligente» il y a 20 ans, par exemple jouer aux échecs sur l’ordinateur, est aujourd’hui une fonctionnalité standard qui va de soi.

Quel est l’objectif visé par ABB avec l’IA?

L’IA est l’un des outils que nous utilisons dans l’industrie pour résoudre des problèmes. C’est pourquoi nous préférons parler d’«intelligence artificielle industrielle». Elle est utilisée par exemple pour la reconnaissance de modèles dans les données de mesure afin de détecter rapidement des développements problématiques.

Dans quelles applications concrètes l’«IA industrielle» est-elle utilisée par ABB?

L’IA industrielle d’ABB surveille par exemple la répartition de la charge des compresseurs dans de grandes installations et suggère une répartition optimisée de la charge entre les machines. En utilisant des techniques du Deep Learning et du Cloud Tracking, l’IA d’ABB peut aussi prévoir la production d’énergie solaire à court terme avec une couverture nuageuse très variable.

Quels sont les autres objectifs visés par ABB avec l’IA?

ABB estime le potentiel de l’IA industrielle important dans le domaine des installations industrielles autonomes qui peuvent gérer une grande variété de situations. Être leader dans le domaine de l’IA est un avantage concurrentiel.

Où travaillent les experts en IA suisses?

Le centre de recherche suisse du groupe ABB à Baden-Dättwil dispose d’une excellente équipe de chercheurs dans ce domaine. Ils forment l’équipe des «Future Labs», l’une des trois institutions de ce type dans le monde pour le développement de l’IA dans notre entreprise.

Dans quelle mesure existe-t-il des coopérations avec les universités et les start-ups suisses?

Le développement de l’IA est principalement mené par des spécialistes bien formés. Ils se trouvent en Suisse – ou viennent volontiers en Suisse car les conditions y sont favorables. C’est aussi la raison pour laquelle de nombreuses sociétés technologiques se sont installées ici. ABB entretient traditionnellement de bonnes relations avec les Écoles supérieures techniques fédérales de Zurich et de Lausanne ainsi qu’avec les hautes écoles spécialisées qui cultivent d’intenses échanges avec les chercheurs. Et les «ABB Technology Ventures» gardent toujours un œil sur les start-ups suisses qui s’engagent dans le domaine de l’IA.

Quelles sont les limites actuelles de l’IA?

L’IA nécessite de grandes quantités de données pour créer des modèles. Souvent, ces données ne sont pas disponibles dans une qualité suffisante. De plus, l’IA ne peut reproduire que les effets visibles dans les données. Si un système de reconnaissance d’images a été entraîné avec des images d’éoliennes, il ne reconnaîtra jamais un navire. Nous n’en sommes pas non plus encore au point où une IA peut percevoir des situations problématiques. De surcroît, nous ne pouvons pas toujours comprendre pourquoi un système d’IA est parvenu à une certaine conclusion. Lorsque la sécurité joue un rôle important, l’utilisation de l’IA n’est généralement pas possible sans assistance humaine. Souvent, la capacité des individus à évaluer une situation reste inégalée. Nous ne devons donc pas nous en remettre uniquement à l’IA.

Une grande question reste en suspens: l’intelligence artificielle supplantera-t-elle notre intelligence humaine?

Lorsque les premières calculatrices sont apparues, cette question se posait déjà. Les machines peuvent déjà faire beaucoup plus que les individus dans de nombreux domaines, en particulier lorsqu’il s’agit de traiter de grandes quantités de données. Cependant, lorsqu’il s’agit d’être créatif, de tirer des conclusions complexes ou d’aborder des situations inconnues avec «bon sens», l’humain reste encore une valeur sûre. Les technologies actuelles ne permettent pas encore de créer un robot au comportement humain et conscient de son «ego». Je me demande également si dans l’industrie nous devons vraiment viser cet objectif – ou si nous ne devrions pas plutôt nous concentrer sur la fabrication de systèmes capables de gérer certes des tâches plus restreintes, mais de manière optimale.