Interview | 08/02/2015

«Un nouveau cadre de pensée dans lequel l’innovation s’épanouit»

L’industrie 4.0 inspire à Rainer Drath des idées en matière d’automatisation.

Quels sont les idées et les principes de l’industrie 4.0 et quelles problématiques reste-t-il à régler? Dans le cadre d’une interview, Rainer Drath, Program Manager Integrated Engineering et Senior Principal Scientist au centre de recherche d’ABB à Ladenburg explique comment la production version industrie 4.0 pourrait devenir réalité dans les prochaines années.

Qui sont les acteurs du débat sur l’industrie 4.0 et quels sont leurs intérêts?

Le thème est porté par l’informatique. Elle est technologiquement très innovante, toujours axée sur ce qui est faisable et souvent en avance de plusieurs années par rapport à l’industrie. Les constructeurs d’installations et les sociétés d’automatisation souhaitent quant à eux de la disponibilité, de la productivité, de la fiabilité et la protection de leurs investissements. Nous voilà tiraillés entre ce qui est «faisable» et ce qui est «pertinent».

 

Qu’est-ce que les différents acteurs peuvent apprendre les uns des autres?

L’informatique peut apprendre l’importance de la disponibilité, de la maturité, de la durabilité, de la fiabilité et de la maîtrise des coûts pour la fabrication. Les constructeurs d’installations traditionnels peuvent à leur tour apprendre qu’il sera de plus en plus difficile et coûteux de maîtriser la complexité croissante de leurs installations avec des méthodes classiques. Il nous faut de nouveaux moyens, de nouvelles méthodes. C’est ce que propose l’informatique, par ex. avec le concept d’orientation objet.

 

Qu’est-ce que l’orientation objet?

Dans la planification traditionnelle, orientée dessin, le diagramme graphique est l’outil central des planificateurs. Cependant, un plan n’a de valeur que s’il est bien interprété par la personne. Dans la planification orientée objet, le modèle de données électronique occupe le premier plan et le diagramme n’est plus qu’une vue de ces données. Le modèle est créé à partir d’objets de données pré-fabriqués et testés, par ex. des stations, des pompes ou des vannes, et peut ensuite être interprété avec un logiciel. Novateur dans ce domaine, le système 800xA utilise ce principe pour la technique d’automatisation, c’est le premier à l’appliquer de façon systématique.

Dans quelle mesure l’usine numérique est-elle un précurseur de l’industrie 4.0?

Dans l’usine numérique, le constructeur des installations, la société d’automatisation et l’exploitant de l’usine développent au début d’un projet une compréhension commune de l’installation souhaitée en procédant à une simulation. Les différents corps de métier sont néanmoins planifiés séparément et la mise en service ne se déroule pas toujours comme pré- vu. Il est cependant impossible de réaliser un essai de fonctionnement virtuel dans ce contexte. Il manque non seulement de la puissance de calcul, mais aussi des modèles 3D de qualité, des commandes virtuelles et l’accès aux modèles et aux données de tous les composants de l’installation dans des formats de données standardisés. Ces problèmes sont résolus avec l’industrie 4.0.

 

Quelle est l’idée sous-jacente de l’industrie 4.0?

L’industrie 4.0 est d’abord un nouveau cadre de pensée dans lequel l’innovation s’épanouit. De nombreuses technologies sont connues depuis des années, mais la nouveauté réside dans leur association et la valeur ajoutée que l’on peut en tirer est encore à réaliser. Chez ABB, nous tentons d’élaborer une approche pragmatique dans ce domaine. Nous avons un rapport à la réalité à la fois solide et pratique: concilier faisabilité et pertinence et prendre en compte les considérations des exploitants des installations et des sociétés d’automatisation.

 

Quel rôle les systèmes cyberphysiques jouent-ils?

Ils jouent un rôle central. Dans le cadre de ses recherches technologiques, ABB a développé une réflexion également reprise entre-temps par la plateforme Industrie 4.0 qui consiste à considérer un système cyberphysique comme un système à trois niveaux. Il y a d’abord le niveau physique, ce sont les choses réelles. Vient ensuite le niveau des données qui sera lié aux objets de données à l’avenir. Un objet de données est le pendant électronique d’un objet physique. Il est enregistré et peut être retrouvé sur le réseau. Enfin, on trouve le niveau des services et des algorithmes, par ex. des applications qui fonctionnent avec les données et qui créent la valeur ajoutée.

 

Quel est l’intérêt du concept des systèmes cyberphysiques?

Ce concept nous permettra de réaliser à l’avenir des choses que nous ne pouvons pas encore concrétiser ou qui peuvent déjà l’être, mais pas de façon rentable. Nous pourrions représenter toutes les pièces d’une installation sous la forme d’un objet de données dans le cloud et les y relier. Cela permettrait de reconstruire virtuellement une installation jusqu’au moment d’un incident afin de déterminer ce qui s’est passé. Les représentations virtuelles de l’installation ne sont cependant qu’un exemple parmi d’autres. Les possibilités offertes par ces systèmes sont nombreuses.

 

En quoi est-ce utile pour les clients?

Une représentation virtuelle de l’installation réelle permet de réaliser des optimisations et d’élaborer des scénarios d’hypothèse. Cela permettrait aussi de présenter rapidement au client une solution visuelle. Cette méthode permet de réutiliser facilement les ressources et d’atteindre une plus grande complexité pour le même prix. Plusieurs de ces opérations sont d’ores et déjà réalisables, mais c’est complexe et coûteux. L’industrie 4.0 change la donne.

 

La standardisation requise est-elle complexe?

La standardisation est laborieuse, nous devons accélérer le processus. De nombreuses craintes sont cependant excessives. Il n’y a que peu de choses fondamentales à standardiser, par exemple l’ID d’un équipement, ce qui est parfaitement réalisable. Pour que l’équipement puisse répondre à la question «Que peux-tu?», il faut standardiser des éléments de langage et des interfaces logicielles.

 

L’automatisation traditionnelle est-elle délaissée sous l’effet de l’expansion de l’industrie 4.0?

L’automatisation classique est profondément ancrée dans l’industrie. C’est elle qui lui permet d’améliorer sa fiabilité, sa disponibilité et son efficacité. L’introduction de l’industrie 4.0 s’effectue dans un premier temps par l’intégration de services à valeur ajoutée sur un réseau extérieur de type industrie 4.0 dont la défaillance ne peut néanmoins pas affecter le réseau de production intérieur qui est indépendant. En parallèle, l’automatisation classique continue de se développer, elle s’attaque d’ores et déjà à de nombreuses tâches que l’industrie 4.0 devrait régler, mais en propriétaire. Elle va se saisir de l’aspect pertinent de l’univers de pensée de l’industrie 4.0 et s’améliorer progressivement. L’automatisation classique n’est donc pas délaissée.

«Notre approche concernant l’industrie 4.0: concilier faisabilité et pertinence et prendre en compte les considerations des exploitants des installations et des sociétés d’automatisation.»