| 31/12/2014

Commuter sans difficulté

Processus de commutation – principale tâche de la technique énergétique et aussi un de ses plus grands challenges

Commuter le courant efficacement est une des principales tâches de la technique énergétique. Peu importe le niveau de tension ou l’application, là où le courant passe, il doit pouvoir être commuté. ABB franchit une étape majeure avec le commutateur CCHT, un dispositif qui fait partie d’une gamme de produits allant du simple commutateur d’éclairage jusqu’au disjoncteur isolé au gaz pour plus d’un million de volts.

Pour les novices, la commutation est un processus d’une grande simplicité: relier ou isoler des circuits électriques, activer ou couper le courant. Le large éventail d’appareillages de connexion utilisés dans les techniques énergétiques et la grande variété de caractéristiques électriques et d’applications montrent pourtant que c’est loin d’être aussi simple. Par ex., un commutateur d’éclairage classique agissant comme un commutateur en charge commute un courant de 10 A à 220 V, tandis qu’un disjoncteur sur le réseau de transport d’énergie de Chine a des valeurs de calcul de 4000 A et 1100 kV. Pour un courant alternatif triphasé, cela correspond à une puissance nominale de 7600 MW. Ce disjoncteur est capable d’activer et de désactiver en 50 ms l’équivalent des besoins énergétiques de toute la Suisse.

Des commutateurs variés pour des tâches diverses

En fonction de la tâche et des propriétés spécifiques des commutateurs, il est possible d’en dériver plusieurs catégories principales:

  • Les disjoncteurs activent et désactivent des appareils et des pièces d’installation en état non défaillant. Ce sont les commutateurs les plus courants et sont utilisés en basse et moyenne tension.
  • Les disjoncteurs de ligne, ou plus communément les fusibles, protègent les lignes basse tension de la surchauffe en les isolant automatiquement en cas de surcharge ou de court-circuit. Ce type de commutateur a été découvert il y a 100 ans par Hugo Stotz à Heidelberg. L’entreprise qu’il a fondée fait aujourd’hui partie du groupe ABB.
  • Les disjoncteurs sont d’une certaine façon des fusibles pour les courants élevés en moyenne et haute tension. Ils intègrent par ailleurs des fonctions telles que la protection contre les courants de fuite et les défauts à la terre, et la gestion de l’énergie par un délestage ciblé. L’arc électrique qui se forme inévitablement en raison des niveaux de puissance élevés est éteint par un disjoncteur à air comprimé dans le vide ou dans de l’hexafluorure de soufre.
  • Les sectionneurs commutent sans charge et isolent donc hors tension. Ils protègent les personnes qui interviennent sur des installations. Dans les installations de distribution, il est possible de combiner certains types de commutateur avec d’autres systèmes de protection et des transformateurs de courant ou de tension.

Maîtriser les arcs

Même si le principe de commutation est toujours le même, il y a une grande différence entre isoler du réseau toute une centrale ou simplement une ampoule. La différence repose sur des lois physiques et sur la maîtrise, ici la maîtrise de l’arc électrique: «L’arc électrique ne résiste pas de la même façon dans les différents niveaux de tension et de puissance», explique Christian Ohler, directeur du département des capteurs et des produits énergétiques dans le centre de recherche du groupe ABB à Dättwill. «Dans le cas d’un commutateur d’éclairage, l’arc électrique s’éteint de lui-même au prochain passage par zéro de la tension alternative. La puissance de refroidissement de l’air ambiant suffit à empêcher l’arc de se rallumer.»

La plus grande installation de distribution isolée au SF6 sur le barrage des Trois-Gorges du Yangzi Jiang en Chine est conçue pour 550 kV

Un fusible qui renferme une technique complexe

Une technique sophistiquée au quotidien

Les experts d’ABB mettent leur expertise au service des systèmes de commutation pour les courants et les tensions élevés, mais pas uniquement. Leur ingéniosité se retrouve même dans les disjoncteurs les plus courants. Lors du développement, les constructeurs travaillent en étroite collaboration avec les électrotechniciens pour les pièces mécaniques. Le développement d’une nouvelle génération d’appareils dure environ trois ans. Une simulation informatique n’est pas encore en mesure de tout révéler. Divers éléments et certaines étapes doivent donc être testés de façon isolée, par ex. le déplacement de l’arc vers la chambre d’extinction.

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Du gaz d’une grande rigidité diélectrique

En moyenne et haute tension, c’est différent. Dans l’air ambiant normal, il est impossible d’isoler rapidement et suffisamment les contacts. Sans autre intervention, un arc s’allumerait et continuerait de brûler. Il faut donc construire pour ces niveaux de tension des disjoncteurs capables d’éteindre activement les arcs électriques. Dans les installations à ciel ouvert, l’arc est soufflé par un puissant flux d’air comprimé à la manière d’une bougie. L’huile peut aussi servir d’isolant. Dans ce cas, la température élevée de l’arc décompose l’huile dans les chambres d’extinction en un gaz qui fait circuler l’huile et éteint l’arc. Aujourd’hui, on utilise de plus en plus de l’hexafluorure de soufre (SF6) dans des commutateurs hermétiquement fermés. Le SF6 possède une rigidité diélectrique nettement supérieure à celle de l’air et est un meilleur conducteur thermique. À l’ouverture des contacts dans un disjoncteur au SF6, le gaz sous pression est comprimé. Le flux de gaz qui traverse une buse souffle l’arc et l’éteint rapidement.

Le disjoncteur CCHT va permettre de planifier des réseaux de transport d’énergie par courant continu en intégrant efficacement des énergies renouvelables sur de grandes distances

Du CO2 avec un meilleur écobilan

On pourrait trouver une alternative au SF6 qui, en tant que gaz à effet de serre très nocif doit être soigneusement manipulé et contrôlé, dans le CO2. ABB travaille sur une nouvelle génération de disjoncteurs à partir de 72,5 kV qui sont remplis de CO2. «L’avantage du disjoncteur isolé au CO2 est son meilleur écobilan pendant toute sa durée de vie. Et sa fonction technique est exactement la même que celle des disjoncteurs au SF6», précise Christian Ohler.

La chancelière allemande Angela Merkel, en compagnie du premier ministre néerlandais Mark Rutte (2e depuis la droite), en discussion avec le CEO d’ABB, Ulrich Spiesshofer (à gauche), au sujet du disjoncteur CCHT.

Une percée dans le domaine du courant continu

Contrairement au transport d’énergie par courant alternatif, le sens de la tension dans le transport par courant continu est toujours le même. Le courant continu n’a donc pas de passage par zéro et l’arc électrique constitue un problème majeur. En basse tension déjà, l’arc est très stable dans les applications de courant continu. En haute tension, on a cru pendant de nombreuses années qu’il était impossible d’éteindre un arc en courant continu. On parlait même d’énigme. Plusieurs années de recherche ont cependant permis de résoudre cette énigme. Fin 2012, ABB a dévoilé le développement du premier disjoncteur au monde pour le transport d’énergie par courant continu à haute tension (CCHT). Ce disjoncteur combine un commutateur constitué de semi-conducteurs de puissance avec un isolateur mécanique ultra-rapide. On parle de disjoncteur CCHT hybride. En 5 ms seulement, il est capable de couper un courant continu équivalent à la puissance d’une grande centrale.

Le disjoncteur CCHT hybride va permettre de planifier des réseaux de transport d’énergie par courant continu en intégrant efficacement des énergies renouvelables sur de grandes distances. Avec les systèmes CCHT disponibles jusqu’alors, traiter un défaut sur le parcours de transport exigeait d’arrêter tout le système, y compris les stations de convertisseurs, et de déclencher le disjoncteur côté triphasé. Cette opération relativement longue est critique dans la mesure où le transport d’énergie par courant continu devrait devenir une composante importante du réseau de transport maillé. Le disjoncteur CCHT hybride règle ce problème et permet du côté du courant continu de maintenir sur le réseau les stations de convertisseurs en cas de défaut de courte durée (par ex. foudre sur une ligne aérienne) et de préserver la continuité des services.

Le disjoncteur CCHT ne permet pas seulement de maintenir les stations de convertisseurs en fonctionnement. «La prochaine étape logique consiste à présent à préparer la planification des actuels projets CCHT de manière à regrouper les différents systèmes de transport d’énergie par courant continu dans un réseau de courant continu», a déclaré Raphael Görner, directeur Marketing et Distribution de la division Grid Systems d’ABB à Mannheim. L’interaction entre les réseaux de courant continu et les réseaux de courant triphasé peut d’ores et déjà être simulée et testée en temps réel dans un centre de simulation créé par ABB. Les parties concernées peuvent donc dès aujourd’hui développer des connaissances en vue du futur. «Le développement du CCHT autonome il y a plus de 15 ans et la conception du disjoncteur hybride en 2012 par nos soins va permettre de réaliser une infrastructure en courant continu efficace et à l’épreuve du temps», affirme M. Görner.

Vitesse record

En ce qui concerne la vitesse de commutation, ABB définit de nouvelles références en moyenne tension avec l’interrupteur de mise à la terre ultra-rapide UFES depuis 2010. Commandé par un micro-générateur de gaz qui fonctionne selon le même principe que les airbags dans les voitures, l’élément de commutation primaire (PSE) UFES met moins de 1,5 ms pour assurer sa fonction de protection. Le PSE est rapidement déclenché par l’électronique UFES qui détecte le défaut d’arc à partir de critères de défaut qui sont la surintensité et la lumière. Après la commande électronique, le micro-générateur de gaz provoque une soudaine montée de pression dans le volume qui l’entoure dans le piston moteur et l’entraîne avec le contact mobile sur la distance de commutation vers le contact fixe. Le PSE établit une mise à la terre triphasée et veille avec l’électronique rapide à ce que l’UFES puisse éteindre un arc moins de 4 ms après sa détection, un record mondial dans la moyenne tension.

Dans la pratique, ce temps de commutation très court réduit considérablement les principaux dangers qui guettent les personnes et les installations. «Il est possible d’exclure presque tous les dommages thermiques et mécaniques sur l’installation de distribution», affirme Andreas Beinat, Head of Sales & Market Management pour les produits moyenne tension chez ABB Suisse. «La pointe de pression dans l’installation de distribution est généralement atteinte en 10 à 15 ms après l’apparition de l’arc. Des dommages thermiques peuvent se produire sur l’installation à partir de 100 ms. En cas de défaut, l’UFES réagit si vite que ces limites critiques ne sont pas atteintes.»

L’appareillage de connexion à la structure compacte peut en principe être utilisé dans toutes les installations de distribution résistant aux court-circuit, nouvelles ou existantes, pour une tension de calcul de 40,5 kV max. et un courant de courte durée assigné de 63 kA max. (1s). «Avec l’UFES, nous avons dans notre portefeuille un dispositif de protection exceptionnel. Les clients utilisant cette protection active contre les arcs ont des motivations diverses. En général, tous recherchent une protection accrue pour les personnes, les installations et les bâtiments, ainsi qu’une importante réduction des coûts en cas de défaillance», précise M. Beinat. «La durée de la défaillance peut aussi jouer un rôle important, car le fait que deux heures max. soient habituellement nécessaires au remplacement des éléments primaires de l’UFES après un déclenchement est un argument déterminant.»

L’interrupteur de mise à la terre ultra-rapide UFES associe une unité électronique avec les éléments de commutation primaires correspondants. En cas de défaut, l’UFES établit une mise à la terre triphasée en moins de 4 ms.

Interview

Les avantages de la technique CCHT

 

Franck, quelles sont les grandes étapes du développement de la commutation?

Le passage de l’huile à l’air comprimé, et ensuite au SF6 comme isolant, et le développement du commutateur à piston de soufflage et à auto-extinction, comme les premiers disjoncteurs à vide dans les années 1960, sont des étapes importantes.

 

Quels sont aujourd’hui les principaux objectifs de la recherche?

La recherche d’une alternative au SF6  est un thème de travail des chercheurs. Leurs recherches s’orientent vers des gaz alternatifs et des disjoncteurs à vide. Les avantages de la technique CCHT pour l’intégration des énergies renouvelables ou pour le transport sans pertes sur de grandes distances ont renforcé l’intérêt de la recherche dans le domaine des réseaux CCHT.

 

Dans quelle mesure notre qualité de vie dépend-elle d’une commutation efficace de l’électricité?

Notre vie s’appuie sur des systèmes énergétiques fiables. Il serait économiquement inefficace de réclamer des composants non défaillants. Nous devons donc contrôler les quelques défauts qui apparaissent. C’est là qu’entrent en jeu nos commutateurs performants. Ils protègent les réseaux de transport d’énergie électrique d’aujourd’hui et de demain.